Le Gouvernement a annoncé le 14 janvier 2018 un « new deal mobile 2018 » présenté comme « un accord historique » avec les opérateurs de téléphonie et d’internet pour généraliser une « couverture mobile de qualité pour l’ensemble des Français ».
En réalité, la question de la géographie de la couverture pour les télécommunications mobiles n’est toujours pas traitée en France en termes d’aménagement du territoire. Cela dure depuis l’origine du déploiement de ces infrastructures dans les années 90. Malgré les effets d’annonce, la mise en œuvre ignore les réalités sectorielles et les jeux d’acteurs de l’économie des télécommunications.
Depuis 25 ans, la stratégie de l’État privilégie les intérêts des opérateurs privés, néglige les collectivités territoriales et ne répond pas aux besoins vitaux des territoires à faible densité.
Analysons la situation.
La norme GSM (Global System for Mobile Communications) a été créée au cours des années 80 et s’est développée commercialement à partir de 1991. La stratégie technologique a été de produire une téléphonie mobile numérique dite de deuxième génération ou 2G. Industriellement, la téléphonie mobile GSM a été une formidable success story de l’Europe et la norme européenne GSM s’est imposée comme unique technologie dans le monde.
Depuis le début de la success story industrielle, les investissements d’infrastructures et les déploiements de services n’ont jamais relevé en France de logiques anticipatrices d’aménagement du territoire.
Au cours des années 90, les directives européennes dérégulent le secteur des services de télécommunications, sifflent la fin du service public universel et initialisent la multiplication des opérateurs. L’État français ferme son instance sectorielle de pilotage stratégique, le « ministère des PTT ». La fonction de maîtrise des couvertures territoriales n’est pas explicite et cette notion ne se trouve que dans les textes des licences accordées aux opérateurs privés. Ces licences ne procèdent pas de finalités d’aménagement du territoire. Elles visent seulement l’organisation d’accès aux bandes de fréquences radioélectriques.
Ce qu’il faut savoir c’est que depuis l’origine, sous la pression des opérateurs, ces licences n’utilisent pas des termes géographiques précis mais se réfèrent à des concepts vagues de « population couverte ». Ce flou originel s’est d’ailleurs renforcé ces dernières années avec l’apparition du critère vague de « centre bourg ».
Dès le milieu des années 90, années de téléphonie 2G, les zones rurales sont devenues des « zones blanches » et le processus de leur mise en jachère numérique s’est installé.
En compensation, l’État s’est alors lancé dans la politique de « plan de rattrapage ». En 2019, ce concept est toujours l’essence même de la stratégie de l’État.
Tout cela montre que le « New deal mobile 2018 » n’est pas un nouveau paradigme d’aménagement numérique de territoire mais un énième plan de rattrapage et de mise à niveau de la part d’un État suiveur des intérêts des opérateurs. L’État l’a élaboré fin 2017 sans concertation démocratique et sans participation stratégique avec les collectivités territoriales, pourtant au plus près des habitants. Dans la dernière circulaire du 31 janvier 2019, les collectivités locales sont essentiellement prises comme l’objet d’une communication descendante et comme des exécutants d’une politique jacobine.
Ce sont les opérateurs qui ont initié ce « new deal mobile 2018 » : Ils le revendiquent explicitement. Un an plus tard, la Fédération Française des Télécoms est partie prenante de la dernière circulaire du 31 janvier 2019.
Cet accord est d’essence financière, au profit d’opérateurs solliciteurs de l’État. Il leur accorde des avantages sur le coût de leurs futures licences de 5G (la nouvelle technologie de communications mobiles) contre des engagements sur 2018-2021 pour corriger les déficiences d’investissement et de couverture en génération précédente, la 4G.
Cet accord soulève des interrogations de calendrier. Il n’est que du court terme alors que le domaine les infrastructures numériques exige une gouvernance et une planification au long cours. L’échéance de 2021 est opérationnellement trop proche pour que soit effectif un déploiement de 5000 nouveaux sites ou pylônes de télécommunications mobiles par opérateur, comme l’affirme le « new deal ». Il faut rappeler que la production d’un site demande couramment de 18 mois à 2 ans. Il faut s’interroger sur le fait que l’accord s’arrête en 2021 avant l’échéance présidentielle de 2022.
· Le « new deal mobile 2018 » est un exercice d’équilibriste entre deux technologies. L’État accorde des avantages sur la technologie 5G alors que les opérateurs ne s’engagent que sur la technologie 4G. Les 2 technologies font appels à des régimes de licences distincts, notamment par leurs portées calendaires ou par les spectres de fréquences radioélectriques concernées. Comment s’assurer alors de la faisabilité du contrôle des engagements pris ?
· Le « new deal mobile 2018 » n’est pas du tout orienté sur l’innovation. Rien n’y est dit sur les nouveaux besoins et usages des territoires ruraux vis-à-vis de cette technologie pourtant si porteuse qu’est la 5G.
· Le « new deal mobile 2018 » n’est pas en phase avec les aspirations démocratiques de notre République. Sa conception est éloignée des vrais intérêts de développement des territoires ruraux. L’opérationnalité est peu réaliste et difficilement contrôlable. La transaction relève d’un jeu d’acteurs déséquilibré.