ARTICLE 23 : Sauvons le téléphone

Les conversations téléphoniques que vous pratiquez au quotidien vous semblent relever d’une invention ancienne, éternelle et d’une grande banalité technique. Mais la réalité est tout autre. Rappelons quelques faits souvent méconnus.

1. La parole est une des signatures de notre humanité. Elle est un puissant et irremplaçable outil de vie et de lien humain. Face au déferlement des données et des images, elle garde sa modernité comme en témoigne le succès jamais démenti de la radio.

2. Le téléphone est un progrès technique, né dans la seconde partie du 19ème siècle, d’importance comparable à l’imprimerie. Il a permis à la voix de s’émanciper en s’affranchissant des distances.

3. Le réseau téléphonique a été un précurseur en tant que grand système technique fondé, à l’échelle du globe, sur de puissants principes : universalité, service public, péréquation financière et respect du secret des conversations.

4. La téléphonie a évolué au rythme de rapides migrations techniques. Elle a d’abord été filaire et fixe, de point à point. Ensuite, la commutation, manuelle puis électromécanique, a multiplié à l’infini les connexions entre les hommes. Avec les réseaux mobiles, la téléphonie a pris une dimension de plus en plus personnelle. La modeste invention du répondeur a ouvert la voie aux communications asynchrones, innovation affranchissant les hommes de la contrainte du temps. Ce fut un des fondements, ensuite, du système Internet.

Mais la téléphonie, système mondial de communication simple, fiable et accessible à tous est, qu’elle soit fixe ou mobile, en danger de disparition dans l’indifférence générale, en France notamment.

La spécificité des communications vocales est engloutie sous la domination des techniques et des services d’Internet, aux trois niveaux des réseaux, des terminaux et des abonnements et services.

1) Au plan des réseaux, la voix est dorénavant transportée par les mêmes canaux que les données et les images, domination de l’IP oblige (Internet Protocol). Ceci vaut tant en fixe qu’en mobile à partir de la 4G.

Les trafics de la voix, lents et peu volumineux, sont devenus marginaux au sein des flux numériques. Ils ne comptent plus pour la 5G.

Peu rémunératrices, les communications vocales ne pèsent plus rien au sein de l’économie du déploiement territorial des infrastructures.

 Le réseau en cuivre qui était dédié au téléphone (le RTC, Réseau Téléphonique Commuté) va en France fermer sous peu.

2) Dans les terminaux, par exemple les smartphones, la fonction « téléphone » est de plus en plus annexe, noyée dans un ensemble croissant d’applications. Elle devient de plus en plus difficile d’accès pour tous les citoyens mal à l’aise avec le numérique et qui veulent simplement téléphoner.

3) Au plan des services, la simple ligne téléphonique n’est plus commercialisée en France depuis 1 an.

La téléphonie « sous IP » derrière une box ADSL ou fibre optique souffre de multiples régressions : disparition de l’abonnement spécifique et donc coût plus élevé au travers de packages ; bien moindre qualité vocale ; fin de l’auto-alimentation électrique qui faisait sa fiabilité ; nouvelle dépendance aux caprices des logiciels de la box ; réduction des redistributions à l’intérieur de la maison. C’est la fin de la notion de service public.

Pour l’ensemble de ces évidences, il est urgent de se pencher sur cette disparition du téléphone au nom de la permanence d’un service essentiel à l’homme, sobre en énergie, utile à la sécurité et universel, c’est-à-dire accessible sur tout le territoire, pour tout le monde et à tout moment, même en cas de coupure du réseau électrique.

D’usage simple et économiquement abordable, le téléphone n’est pas facteur d’exclusion ou de creusement d’inégalités comme peuvent l’être les services Internet et le numérique. Rappelons que l’illectronisme est une réalité qui touche, en France, en 2020, un quart de la population.

Le téléphone doit redevenir un service public minimum du numérique, pour tout le territoire et pour chacun.

Innover et être technophile en numérique c’est aussi étudier et comprendre le progrès technique pour y puiser des solutions matérielles économiques aptes à perpétuer le simple téléphone, un service vieux de 150 ans mais à haute valeur humaine et sociale.