Quel que soit le vocable retenu (réseau d’accès ; dernier kilomètre ; réseau de distribution ; réseau capillaire ; etc.), c’est à la « boucle locale » que l’utilisateur final se raccorde pour accéder aux services numériques du téléphone et de l’internet. Qu’elle soit fixe (en fil de cuivre ou en fibre optique) ou mobile, la boucle locale n’est pas gérée en France. C’est elle qui est en jachère.
La boucle locale est le maillon faible du métier d’opérateur. Les opérateurs s’en détournent depuis longtemps dans les zones à faible densité.
Dès les années 70, lors de la migration de l’analogique vers le numérique, le corps des ingénieurs de télécommunications privilégie la technologie, sans s‘intéresser au tirage des câbles. L’installation et l’entretien de ces « lignes » sont massivement délégués à des entreprises locales. Comme il ne s’agit pas d’une priorité stratégique, les lignes ne sont pas enterrées. Nous avons en France des boucles locales aériennes et donc vulnérables.
Les opérateurs n’aiment pas les boucles locales filaires en zone rurale. Elles sont plus chères à construire. Elles sont plus longues et doivent s’affranchir d’éventuelles contraintes de reliefs. Elles sont couteuses à entretenir, particulièrement dans les géographies boisées où les contraintes d’élagage sont prégnantes. La rentabilité des boucles locales est d’autant plus faible que les trafics y sont peu importants. Les boucles locales longues sont défavorables aux trafics ADSL dont le signal s’affaiblit très rapidement avec la distance.
De surcroît les opérateurs de réseaux cellulaires mobiles n’investissent que sous la pression locale dans les pylônes (ou relais) des zones à faible densité. Ces pylônes sont moins rentables qu’en zone urbaine. Ils accumulent les difficultés logistiques et financières dues notamment à la nécessité d’un double raccordement, d’une part au reste de l’infrastructure de télécommunications et d’autre part au réseau électrique. En géographie à reliefs, les obstacles à la transmission des ondes sont nombreux. Là encore, la rentabilité est pénalisée par de moindres trafics générés.
Jusque dans les années 80, la boucle locale est intégrée dans la conception et la mise en œuvre du Réseau Téléphonique Commuté (RTC). Ce réseau offrait un service universel et couvrait tout le territoire national sur fond d’une économie de la péréquation. Le développement progressif de l’ADSL piloté par l’Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes (ARCEP) marginalise puis ignore l’importance de la boucle locale et rend tabou la culture d’aménagement du territoire.
En ADSL, le régulateur crée la discrimination géographique en institutionnalisant les zones non dégroupées où les tarifs d’abonnement sont plus chers pour moins de services (des débits plus faibles et pas de TV). En mobile, les cartes de couverture sont très tôt des insultes à la géographie.
Qui accepterait d’acheter une maison sans savoir si elle dispose de l’accès à l’eau ou l’électricité ? Le tabou de la boucle locale numérique fait que vous ne pouvez pas savoir, par exemple en allant en mairie, quelle est la qualité réelle de l’accès ADSL dont dispose la maison, quelle réception mobile y est présente ou quand la fibre optique y sera offerte.
Rappelons que le Réseau Téléphonique Commuté n’est plus commercialisé depuis novembre 2018 et qu’il fermera en 2023.
Rappelons que les boucles locales filaires en cuivre sont en état d’obsolescence avancée sans que l’État n’en dise un mot.
Rappelons qu’il n’y a pas en France de planification de la substitution à 100% des boucles locales fixes en cuivre par des boucles locales en fibre optique.
Rappelons que les boucles locales des réseaux cellulaires mobiles doivent tenir sous la forte pression des migrations technologiques (2G, 3G, puis 4G, la norme actuelle). La notion de l’obsolescence de ces boucles devrait impérativement être le cœur d’une stratégie collective qui reste à inventer, d’autant que la 5G arrive avec des négociations de licences et des enjeux de sécurité nationale.
Rappelons que la stratégie actuelle d’Orange en zone rurale est de moderniser son réseau cuivre en se focalisant sur le « fibrage » de l’amont, c’est-à-dire sur « le réseau collectif de transport et de distribution ». Mais dans de fréquents territoires, Orange, propriétaire du réseau cuivre, ne s’engage pas sur le « fibrage » de la boucle locale elle-même. Dans les villages ruraux, le fibrage de la boucle locale, le réseau d’accès jusque chez l’abonné (le FTTH, Fiber To The Home) est laissé entièrement à la charge des collectivités publiques.
Il est urgent de sortir des non-dits, des données géographiques floues et des risques liés à l’obsolescence des réseaux cuivre et de changer de mentalité. Les boucles locales sont la faiblesse de la France numérique.