A l’heure où la 5G s’implante et que ses licences se préparent, où en est la simple mais vitale communication vocale par téléphone ?
La téléphonie a été une révolution technique de la seconde partie du 19ème siècle d’importance presque comparable à l’invention de l’imprimerie.
Passons sur les querelles de brevet liées à l’invention du téléphone : ses premières ouvertures commerciales datent de 1877 aux USA et de 1879 en France.
Depuis ces débuts, une succession de migrations technologiques a eu lieu, s’accélérant au cours des dernières décennies.
La téléphonie a d’abord été transportée par des paires de fils en cuivre. Elle passe à partir de 1970 d’une transmission analogique à une transmission numérique. Puis ensuite une modeste invention, le répondeur téléphonique, permet la création d’une fonction révolutionnaire : la communication asynchrone. La conversation directe entre deux personnes est superflue et, désormais, un appelant peut communiquer avec un appelé sans qu’ils soient tous deux disponibles au même instant. L’invention du téléphone nous a affranchi de l’espace, et dorénavant nous sommes aussi déliés du temps.
Au cours des années 90, la téléphonie numérique cellulaire mobile se développe grâce à la success story européenne du radiotéléphone cellulaire GSM. La téléphonie mobile fait passer d’une communication fixe institutionnelle (à domicile, dans le bureau, dans l’atelier) à une communication à la fois personnelle (chacun ayant son propre numéro d’appel et son propre terminal) et mobile, sans raccordement filaire. Cette mobilité est potentiellement mondiale car l’utilisateur, en se déplaçant, se connecte automatiquement à une autre antenne du réseau de son opérateur, voire à celles d’autres opérateurs. Cette fonction de roaming est à la base des réseaux mobiles cellulaires. La téléphonie mobile a fait entrer dans nos mœurs une nouvelle domestication de l’espace en permettant d’avoir une conversation tout en étant en mouvement.
Enfin un dernier palier d’évolution technique a été franchi avec la transformation du téléphone lui-même en smartphone, ou terminal multifonctions, qui permet les communications vocales comme les communications de données et d’images.
Dans ce brossage à grands traits de l’évolution de la téléphonie vocale, il ne faut pas oublier une transformation majeure. C’est la disparition des techniques de transmission spécifiques à la voix au profit des seuls canaux de transmission des données utilisant le Protocole Internet, ou IP, comme cela se produit aussi pour les images. Dit autrement, la technique Internet a tout absorbé.
L’universalité technologique d’Internet entraine une domination préjudiciable à l’efficacité et, pire, à la survie de la téléphonie.
Par exemple, en filaire : le vieux réseau en cuivre spécifique du téléphone, le Réseau Téléphonique Commuté, RTC, géré par Orange au titre d’un service universel du téléphone, est en train d’être fermé. La date programmée par Orange est 2023. Déjà l’accès classique au seul téléphone connu sous le nom d’« abonnement France Télécom », n’est plus commercialisé par Orange depuis l’an dernier. Désormais la téléphonie fixe est de la « voix sous IP », par les box raccordées au réseau cuivre ADSL ou au réseau en fibre optique.
Concrètement il ne s’agit pas d’un progrès mais d’une régression puisque le téléphone fixe est désormais directement tributaire du réseau électrique domestique alors qu’il était auparavant autoalimenté par le réseau téléphonique lui-même.
De plus une autre fragilité négligée s’est introduite entre le téléphone et le réseau de l’opérateur car les box sont soumises aux caprices des logiciels.
En ADSL, les possibilités de diffusion interne aux bâtiments sont réduites pour l’abonné au téléphone non professionnel. Le réseau téléphonique de l’opérateur s’arrête au point d’entrée unique qu’est la box. La redistribution interne chez l’abonné se fait essentiellement depuis la box en WiFi dont les portées sont très limitées.
Le passage d’un « abonnement France Télécom » à de la « voix sous IP » induit des accroissements substantiels de tarifs, l’offre de la téléphonie étant noyée dans des offres « multiplay » téléphone, internet et éventuellement télévision.
La suppression du Réseau Téléphonique Commuté, imposée autoritairement aux utilisateurs, crée une nouvelle fracture sociale et marque la fin du service universel.
Au-delà des fragilités de la téléphonie derrière une box, la téléphonie sous Internet altère la qualité de la communication entre les personnes. En effet, les voix des utilisateurs qui se téléphonent par Skype, FaceTime ou WhatsApp ne sont pas comparables à celles des conversations qui empruntent des canaux téléphoniques dédiés. Elles sont moins suaves, fluides et profondes, bref moins humaines, car elles sont altérées par l’empilage, dès le terminal, de hachages et de codages induits par les techniques de transmission de données. Cela est comparable à l’altération du rendu de la voix lors du passage du vinyle au CD.
En mobile, la téléphonie est véhiculée par des canaux séparés sur les réseaux 2G ou 3G. A partir de la 4G c’est fini ! La voix et les données internet sont transportées par les mêmes tuyaux. La téléphonie est marginalisée. D’ailleurs, à propos de la 5G, on se réjouit de débits plus élevés, de plus d’interactivités et de nouveaux services. Mais qui se soucie d’amélioration de la téléphonie ?
La communication vocale entre les personnes est la signature de notre humanité. L’illustration de la force de la parole se confirme dans le succès jamais démenti, dans notre société de l’image, de la radio.
En filaire comme en mobile, il y a phagocytage de la téléphonie par la transmission de données, par les terminaux multifonctions et par les écrans et claviers.
L’aménagement numérique de 100% du territoire doit inclure un service public fiable et universel de la téléphonie, terminal et réseau compris.
C’est une régression que de laisser la téléphonie se noyer sous la suprématie du traitement des données et d’abandon une forme de communication qui a fait la preuve depuis près d’un siècle et demi de sa simplicité, de son utilité et de son universalité. Il s’agit d’un service public en lien direct avec cette fonction essentielle de l’homme qu’est la parole. La disparition en cours d’un système autonome de téléphonie, fiable, d’usage aisé et à faible consommation énergétique crée de nouvelles formes d’isolement social et d’insécurité.
Par ailleurs, sauver la téléphonie n’est pas uniquement une affaire de réseaux car sans téléphone adapté au réseau il n’y a pas de service. L’aménagement numérique du territoire doit aussi se préoccuper du parc réel des téléphones possédés par la population, dans toutes ses nuances d’âge et de ressources. Pour maintenir et perpétuer ce qui était naguère un service universel il y a obligation de s’assurer des cohérences géographiques entre terminaux téléphoniques et réseaux accessibles.
Que pense Orange, dernier détenteur d’une mission de service public, de cet effondrement annoncé de la téléphonie ?