Le comportement financier de l’État pour couvrir les zones rurales en accès au numérique fixe (fibre optique) et mobile (4G maintenant et bientôt 5G) ne démontre pas une politique explicite. Ce flou date des années 90. A cette époque apparaissaient le téléphone mobile et l’internet qui ont induit la fin du principe d’accès universel au service du téléphone en tout point du territoire. L’accès universel au service du téléphone avait été mis en œuvre financièrement par un système de péréquation fondé sur des tarifs identiques en tout point de la République. Ce système de péréquation n’existe pas pour la couverture numérique.
En matière de couverture numérique, le réalisme économique devrait s’imposer. Construire, entretenir et exploiter des réseaux d’accès, filaires ou hertziens, fixes ou mobiles, dans les territoires à faible densité coûte cher. Cela ne rentre pas dans le modèle dominant du secteur du téléphone et de l’internet qui fonctionne sur le critère de rentabilité financière. Dans les zones rurales, les investissements sont plus lourds pour construire les réseaux, les distances y sont plus longues et l’entretien est exigeant et couteux. Par exemple l’absence fréquente d’élagage des arbres fragilise les lignes aériennes. L’ingénierie des sites de communications mobiles se heurte au choix délicat des points hauts. La modélisation prévisionnelle des couvertures doit prendre en compte des difficultés de propagation des ondes, comme celles imposées par les zones boisées ou les écrans naturels que constituent les dénivellations. Un pylône doit être raccordé tant au réseau électrique qu’au reste du réseau de télécommunications et éviter les atteintes visuelles aux paysages.
La moindre densité de trafic par rapport aux zones urbaines oblitère les rentabilités. Les saisonnalités et les conditions climatiques peuvent aussi peser sur les rentabilités.
Face à ces réalités économiques et financières, quelle stratégie a l’État depuis 30 ans pour assurer les financements sur tous les territoires hors du champ de rentabilité des opérateurs privés ?
Pas grand-chose. Le sujet n’a fait l’objet d’aucune démarche politique d’anticipation et de planification financière. L’intervention publique se résume à agir a posteriori, une fois constaté la carence de couverture, pour faire du rattrapage. Dit autrement la couverture numérique des territoires ruraux est en jachère stratégique et financière.
Pire, les territoires ruraux subissent une triple peine. La première, la plus connue, est l’absence de couverture ou de service. En 2019, une partie de la France reste en « zone blanche », sans connexion du tout. La seconde est le caractère aléatoire du service, selon le lieu de connexion, selon les incidents naturels comme les orages ou les chutes d’arbres ou selon les pics de trafics sur des lignes vétustes aux capacités inadaptées. Bien sûr il y a des solutions techniques alternatives, notamment par voies hertziennes terrestres ou satellitaires. Mais ces solutions ne sont qu’intérimaires et ne sont à la portée que des projets de raccordements collectifs (d’entreprises, de collectivités ou d’associations d’utilisateurs). La troisième pénalisation, qui est insuffisamment soulignée, est que les couts sont plus élevés pour les utilisateurs finaux.
En fixe, le régulateur (ARCEP, Autorité de Régulation des Communications Électroniques et des Postes) a été obnubilé par la gestion de la concurrence en ville. Il n’a pas pris en charge la priorité de l’aménagement du territoire. Il a laissé s’institutionnaliser des prix d’abonnements plus élevés en zones rurales dites « zones non dégroupées ». Un comble puisque les abonnements comptent moins de services du fait de l’absence de la télévision inclue dans le « triple play » des villes (téléphone, internet, TV).
En mobile, la moindre puissance des réseaux interdit la couverture dans les maisons, (autrement dit « indoor ») et pour obtenir cette couverture, l’utilisateur doit recourir à un équipement supplémentaire.
En fixe, les solutions alternatives de connexion par voies hertziennes terrestres (en technologie WiFi ou WiMax par exemple) ou satellitaires sont plus chères pour l’utilisateur final. Cette vérité est d’ailleurs reconnue par les pouvoirs publics puisqu’ils ont mis en place des subventionnements ponctuels, comme par exemple les 150€ annoncés le mois dernier par le gouvernement lors de son déplacement dans le Gers. Le caractère ancien de cette mesure, le court-circuitage des collectivités territoriales et sa portée limitée ont été analysés dans un article précédent.
Enfin la substitution d’un raccordement en cuivre (pour le simple téléphone ou pour le « double play » téléphone et internet par une box ADSL) par à un raccordement en fibre optique entraine des augmentations de prix des abonnements. Il s’agit d’augmentations de plus en plus imposées à l’utilisateur. Les simples lignes téléphoniques classiques (« l’abonnement France Télécom ») ne sont plus commercialisées par Orange depuis novembre 2018 et ne seront plus en service en 2023. Les solutions ADSL en cuivre seront de moins en moins fiables du fait de l’obsolescence physique d’un réseau devenu fragile, mal entretenu en France et mal adapté à la volatilité des charges inhérentes à internet.
Finalement, une partie du financement des surcoûts d’équipement des territoires ruraux est déportée sur les utilisateurs finaux.
Ce surcout du déploiement des réseaux fixes en zones à faible densité est connu des pouvoirs publics puisqu’ont été imaginés des subventionnements de l’État et des implications des collectivités territoriales.
Pour les réseaux fixes, la limite de ces logiques financières publiques est triple. D’abord elles relèvent de politiques de subventionnement a posteriori. Ensuite le modèle financier d’intervention des collectivités territoriales fait l’objet d’un empilement de mesures instables au gré des pressions des opérateurs. Enfin, le fléchage des engagements n’est pas strictement dicté par des critères géographiques. Tout cela est entretenu par les opérateurs qui apprécient de rester maîtres des couvertures qu’ils gèrent au gré de leurs critères de rentabilité et de leurs stratégies internes d’écrémage des territoires.
L’action financière des collectivités territoriales en filaire présente de multiples limites. Elles ne sont concernées que par la fibre et n’ont aucune prise sur les anciens réseaux en cuivre. Mais surtout, alors que le domaine du numérique relève d’une économie sectorielle de services, l’action des collectivités se limite aux investissements d’infrastructures sans commercialisation de services aux utilisateurs finaux. Leurs fonctions de maître d’ouvrage sont ainsi totalement tronquées et soumises in fine aux seuls pouvoirs des opérateurs privés de services.
En ce qui concerne le financement des réseaux mobiles en zones peu denses, j’ai précisé dans un article précédent le mécanisme irrationnel du « new deal 2018 », l’État demandant des engagements sur une technique actuelle (la 4G) en échange d’avantages accordés sur une licence sur une technique future (la 5G).
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Le respect de la vérité des coûts, la construction d’un éventuel système de péréquation et le financement a priori de la couverture des nombreux territoires à faible densité sont, en France, des chantiers intégralement devant nous.
Comment sortir de la régulation par la concurrence qui ne marche pas en zone rurale ? Comment faire bénéficier le numérique de financements exogènes résultant des économies dans la mise en place d’autres services publics ? Comment financer un opérateur public de boucle locale fixe et mobile pour les zones rurales ? Comment aider les collectivités à s’installer dans le long terme comme maîtres d’ouvrage indépendamment des intérêts financiers et spéculatifs des opérateurs ?
Il serait temps de répondre à ces questions et dès à présent d’acter :
- la fin du cuivre,
- la couverture du territoire 100% en fibre optique,
- la couverture mobile 5G sans exclusion des zones rurales.