ARTICLE 18 : La 5G : une bombe à fragmentations

Dans mon article précédent, j’alertais sur les multiples changements que la 5G exige en matière d’aménagement du territoire, de pilotage des couvertures géographiques et de maintien en France de missions de service public dont les zones rurales ont besoin. Alors que le régulateur, l’ARCEP, vient de lancer auprès des opérateurs son appel à candidatures pour l’attribution des fréquences hertziennes utilisées par la 5G, j’insistais sur l’urgence de faire sur le sujet un débat démocratique national pour se mettre d’accord sur la création d’une organisation disruptive de planification des réseaux de communication mobile.

Cette urgence s’impose en raison des ruptures d’architecture des réseaux qu’implique la 5G et du processus unilatéral actuel de choix des zones bénéficiant de l’accès aux réseaux mobiles, processus qui est encore, en France, je le dis souvent, bien trop autoritaire, opaque et autocentré sur les seuls intérêts des opérateurs.

Ce changement du mode de planification géographique des réseaux mobiles est d’autant plus nécessaire que :

  • la 5G arrive alors que les couvertures mobiles en 3G et 4G sont encore très insuffisamment déployées en France, avec beaucoup de trous de couverture ;
  •  le pays traverse un contexte de grande fragilité politique sur fond de creusement des inégalités et de montée des antagonismes ;
  • la 5G est potentiellement porteuse d’incompréhension, de fragmentation et de discrimination territoriale et sociale fortes ;
  • les citoyens ne disposent pas, dans leur immense majorité, d’une culture avancée sur les subtilités des techniques hertziennes d’autant plus complexes à comprendre qu’elles sont invisibles.

La persistance du mode actuel de décision centré sur les opérateurs est d’ailleurs contraire à leurs intérêts. Sans rupture dans le mode de choix des couvertures territoriales :

  • les craintes environnementales, anciennes et compréhensibles, anti-antennes seront attisées ;
  • les nouvelles frondes et pétitions spécifiquement anti 5G qui apparaissent depuis 2 ans, au prétexte des risques sur la santé, se développeront.

Pour déminer les risques d’une mauvaise planification territoriale des réseaux mobiles 5G qui handicaperait le développement des territoires ruraux, je propose que soient travaillées en priorité les 9 thèmes qui suivent.

1)     Comment faire une planification fine et transparente des couvertures de télécommunications mobiles ?

Il faut ouvrir le jeu des acteurs en identifiant parfaitement leurs fonctions : qui étudie, qui décide, qui planifie et qui contrôle le plan d’occupation des sols accessibles avec un terminal 5G ?

Le passage à la 5G va engendrer une déconstruction substantielle des architectures des réseaux. En effet la 5G fait appel à de nouvelles fréquences d’ondes hertziennes dont les caractéristiques de propagation sont différentes de celles des réseaux 3G ou 4G. Les zones de couverture autour des pylônes préexistants risquent d’être modifiées. La 5G utilise des fréquences plus élevées et les surfaces de couverture peuvent à la fois être plus petites (avec des distances de propagation plus courtes) et avoir des formes différentes (avec des antennes d’émission/réception plus directives). Le nombre de stations de base ou pylônes va augmenter avec des risques incontestables pour l’environnement. 

2)     Comment est assuré l’avenir du service universel de l’historique téléphonie vocale ?

La 5G n’apporte aucun avantage particulier pour les communications de téléphonie vocale en zone peu dense dont les volumes de trafic sont modestes. Dit autrement, le téléphone n’est pas le cœur de cible de la 5G et de ses investissements. Comment alors va être assurée la permanence du service public de téléphonie vocale en zone rurale et qui va s’assurer que la téléphonie vocale sera toujours possible en tout point du territoire national ?

Cette question est d’autant plus cruciale pour les territoires ruraux que la 5G arrive à une période où :

  •  la téléphonie fixe sur lignes filaires en cuivre « France Télécom » n’est plus commercialisée et son support, le RTC, réseau téléphonique commuté, sera totalement fermé d’ici quelques années ;
  • la couverture à 100% du territoire en lignes en fibre optique n’est pas, pour face à l’obsolescence avancée des lignes fixes en cuivre, planifiée ;
  •  la téléphonie mobile ne fait pas, contrairement au téléphone filaire sur paire de cuivre, l’objet d’une obligation de service universel ;
  •  la 5G, qui permet des transports de débit 10 fois supérieurs à ceux de la 4G, est avant tout un avantage technique pour les zones denses ;
  • des techniques hertziennes alternatives d’accès fixes en zone rurales (les BLR, boucles locales radio) vont être désactivées pour libérer, au profit de la 5G, des fréquences ;
  • rien n’est dit par l’État et les opérateurs sur la permanence des communications mobiles des générations précédentes 3G ou 4G.

3)     Comment est organisée la permanence de la fourniture d’électricité ?

Comment est organisée la continuité du service de base du téléphone en cas de coupure du réseau électrique, notamment chez l’abonné ? La fin du réseau téléphonique commuté signifie la fin de la dernière solution de téléphone électriquement autoalimentée. Quelles solutions collectives ou individuelles d’alimentation de secours sont développées pour assurer la permanence de liaisons téléphoniques en cas de panne du réseau électrique ?

Relevons que cette question sur la téléphonie vocale se pose aussi pour l’ensemble des usages de la 5G qui va engendrer, avec le développement des machines et objets connectés, une forte dispersion spatiale des besoins d’électricité.

4)     Comment est pris en charge le changement des terminaux ?

Comment sont coordonnées les migrations respectives du parc des terminaux, des stations de base et des couvertures associées, notamment pour que soit assurée la permanence des services vitaux comme la simple téléphonie mobile ? Faudra-t-il systématiquement que l’utilisateur réinvestisse et se réapproprie un nouveau téléphone compatible 3G, 4G et 5G pour jongler avec les zones de couverture de chaque génération, zones qui vont être en redéfinition constante ? Cette question se pose d’autant plus que pendant de très nombreuses années la 5G sera marginale en zone rurale.

Ce sujet de la migration des terminaux est à intégrer dans la définition des nouvelles missions de service dont les territoires ruraux doivent faire l’objet.

Rappelons que lors d’un saut technologique en électricité (Cf. le passage du 110 volts au 220 volts) la gestion de la migration des terminaux a été expressément prise en compte dans la mission de service public.

5)     Quelles sont les mesures spécifiques techniques et financières indispensables au développement de la 5G en zone rurale ?

Alors que les zones rurales ne seront pas commercialement et financièrement intéressantes pour les opérateurs de 5G, deux questions centrales se posent :

  • comment rendre obligatoire en zone rurale la mutualisation systématique des antennes, solution simple et radicale en réseaux mobiles pour faire des économies d’investissement, et comment décider en dynamique quels seront les territoires d’application de cette obligation ?
  • comment réaffecter à la couverture 5G des zones rurales le produit financier que l’État va obtenir de la vente aux enchères des fréquences 5G, à l’image des 6,5 milliard d’euros récoltés en Allemagne ?

6)     Comment s’assurer que les véhicules (voitures, camions, machines agricoles) de plus en plus connectés pourront normalement circuler en zone blanche 5G ?

Comment assurer la cohérence entre d’une part l’automatisation croissante des véhicules engendrée par des solutions connectées fondées sur la 5G et d’autre part l’énigme de la couverture 5G en zone rurale ? Dit autrement, comment s’assurer que les véhicules pourront toujours circuler, au fil de leur évolution, en toute sécurité jusque dans les zones rurales.

Cette question ne relève pas de la science-fiction. Depuis avril 2018, tous les nouveaux véhicules en Europe sont équipés du système d’appel d’urgence automatique eCall. Chaque véhicule est équipé d’une carte SIM et est géolocalisé via une balise GPS. Le système génère un SMS au 112, soit automatiquement en cas de choc brutal avec déclenchement des airbags ou de retournement du véhicule soit manuellement via un bouton rouge « SOS ». Dès réception, un opérateur rappelle le véhicule, analyse les données transmises, voire la non réponse du conducteur, et déclenche le cas échéant les services de secours les plus proches. 

L’eCall ne marche évidemment pas en zone blanche, là où le réseau de téléphonie mobile, qui supporte les SMS, ne marche pas. Les zones rurales connaissent déjà une discrimination en matière de sécurité automobile, et ce alors même que les réseaux routiers secondaires ruraux sont particulièrement accidentogènes et que les possibilités d’alerte par d’autres automobilistes y sont réduites.

7)     Comment sera interdit l’usage en France des équipements d’infractructure d’origine chinoise (Huawey, ZTE) dans les réseaux 5G?

Orange vient enfin de déclarer, dans un communiqué de presse du 31 janvier 2020, qu’il fera appel pour son réseau 5G de France métropolitaine aux équipementiers européens ERICSSON et NOKIA. Ces équipementiers pèsent 50% du marché mondial de la 5G. Mais comment cette bonne intention en période de négociation pour les licences 5G en France peut-elle être garantie puisqu’Orange utilise déjà Huawey en Roumanie ?

Comment cette interdiction sera-t-elle imposée à tous les opérateurs qui construiront un réseau mobile 5G en France ?

Cet impératif de sécurisation de la souveraineté territoriale s’impose d’autant plus vis-à-vis de la Chine que :

  • les équipementiers chinois sont attractifs par une pratique de prix bas ;
  • ces équipementiers sont actifs sur la scène internationale, avec une présence forte dans les organismes internationaux de définition de la 5G comme à l’Union Internationale des Télécommunications à Genève (ONU) dirigée par un Chinois, avec des politiques alléchantes de financement et de coopération, avec un repli sur l’Europe et l’Afrique après la fermeture des marchés des USA, du Japon et de l’Australie et avec des soupçons d’espionnage en Pologne ;
  • ils s’appuient en 5G sur un marché intérieur colossale, de 200.000 milliards de dollars d’ici 2025 et de 300.000 stations de base installées en 2020 ;
  • les équipements d’Huawey font l’objet de critiques en matière de fiabilité de fonctionnement et présentent de nombreuses vulnérabilités aux plans de la confidentialité des contenus, de la cybersécurité et de la possibilité d’intrusion.

8)     Y a-t-il un plan d’expérimentation de la 5G en zone rurale?

Les expérimentations de la 5G en France concernent essentiellement la faisabilité technique et le design de services automatisés en zones urbaine et industrielle. Qui se soucie du fonctionnement, des usages et de la prévention des risques en zone rurale ?

9)     Comment intégrer les collectivités territoriales dans la planification des couvertures des services 5G?

Cette question concerne l’implication essentielle des collectivités territoriales qui ne sont, à ce jour, que des acteurs d’appoint de l’implantation des réseaux mobiles et qui sont exclues de la négociation des licences 5G.

Cette implication forte est d’autant plus nécessaire que pendant de nombreuses années des arbitrages seront à faire sur les zones prioritaires à couvrir et que la multiplication des paramètres de définition des zones de diffusion des antennes va complexifier la prise en compte des besoins locaux de couverture.

En alertant sur les dangers potentiels de la 5G, il n’est pas question de dérouler un discours technophobe. L’objectif est d’engager au plus tôt de nouvelles bonnes pratiques collectives entre tous les acteurs de la communauté nationale (État, collectivités territoriales, utilisateurs, opérateurs) afin que cette nouvelle communication mobile se mette au service de l’homme et ses territoires et non l’inverse.

L’homme est technophile. L’évolution matérielle est dans ses gènes et dans son fonctionnement intellectuel ; elle répond à la satisfaction de ses instincts, de son besoin de survie et de domination de ses environnements hostiles, comme la nature, les autres espèces vivantes voire ses congénères humains. L’électricité est un progrès pour l’homme, comme le sont les communications numériques longue distance et asynchrones avec internet. De même, le réalisme commande qu’il n’y a pas un monde sans armes, en particulier de défense et de sécurité.

Les approches technophiles sont des préoccupations ancestrales de l’homme. Une belle illustration de cette aptitude de l’homme est sa maîtrise du feu. Le corps et les apports de la technique sont des moteurs essentiels et indissociables du fonctionnement de l’homme. Pour un essayiste méconnu, Jean François BILLETER, l’ouverture à la technique est pour l’homme « un besoin essentiel en même temps qu’un désir d’aller vers plus de perfection, d’action et donc de liberté ».

 Le passage à la 5G est une migration de génération de technologie mobile qui doit permettre de faire mieux et non pas de faire pire.

Nota : des descriptions techniques sur la 5G sont accessibles sur le site de l’ANFR, Agence Nationale des Fréquences Radioélectriques (Cf. https://www.anfr.fr/fileadmin/mediatheque/documents/expace/CND/Rapport-ANFR-presentation-generale-5G.pdf ).