ARTICLE 19 : L’urgence numérique : un autre service public méprisé

La crise sanitaire que nous vivons montre l’importance des dimensions géographiques, organisationnelles et logistiques de nos sociétés humaines. Puisse cette crise, qui va avoir des impacts sociaux et économiques profonds, fournir le déclic positif pour enfin changer de pilotage dans l’aménagement numérique du territoire en France.

Comme je l’explique depuis plus d’un an dans https://jacherenumerique.com/, il y a urgence à changer les modes de planification des réseaux d’accès au numérique. La planification doit relever d’une maîtrise d’ouvrage publique et non pas être entre les seules mains des opérateurs privés qui laissent une partie du territoire national en confinement social et économique permanent. 

Comme dénoncé et décrypté au fil des articles précédents, cela fait 30 ans, en télécommunications, que l’appareil d’État et la machine administrative publique sont déconstruits, que toute obligation de service public disparait progressivement, que le service téléphonique universel est à l’abandon et que la sécurité des réseaux n’est pas ouvertement traitée, avec notamment une dépendance croissante au réseau électrique général.

Le confinement sanitaire et le recours impossible pour certains au télé-travail, à la télé-médecine, au télé-enseignement ou à la télé-administration prouvent l’injustice entre les territoires. Il y a urgence à en prendre conscience et à mener une politique efficace contre la jachère numérique subsistant encore en 2020.

La guerre à mener contre les profondes inégalités territoriales dans l’accès au numérique exige de réintroduire une stratégie globale, claire et concrète d’aménagement. Proposons pour cette stratégie, en rassemblant ce qui est épars dans mes articles précédents, les six points prioritaires suivants.

1) Réformer la régulation des communications électroniques fixes et mobiles pour réaffirmer des valeurs opérationnelles d’intérêt collectif, de mission de service public, de continuité territoriale et de service minimum, vertus qui étaient celles du classique téléphone autoalimenté ;

2) Définir des objectifs concrets et à échéancier court de couvertures de 100% du territoire en réseaux d’accès fixes en fibre optique ET en réseaux mobiles en 4G. Tant que ces couvertures à 100% ne seront pas réalisées, toute implantation de la 5G sans juste planification collective ne fera que creuser les inégalités ;

3) Faire que la maîtrise d’ouvrage publique dispose de vraies entités de commandement pour prendre le pas sur les intérêts particuliers des opérateurs privés ;

4) Affecter des moyens financiers à la couverture de tous les territoires actuellement hors marché. Ces moyens financiers sont aisément mobilisables car le secteur du numérique comporte des acteurs prospères, génère des flux commerciaux importants et des gains de productivité structurels ;

5) Disposer de cartographies exactes des couvertures, sans dépendre, comme aujourd’hui, des informations des opérateurs privés ;

6) Sortir des jeux virtuels entre opérateurs et État reposant sur des données quantitatives faussées, des statistiques tronquées et des paramètres non représentatifs des couvertures numériques réelles, comme cela se pratique avec les critères sans fondement géographique de « centres bourg couverts » ou de « nombres de pylônes à installer ».

La guerre contre la jachère numérique d’une partie du pays ne sera gagnée que :

  • a) si les critères de l’intérêt collectif et de la cohésion des territoires priment ;
  • b) si la complexité de ce domaine invisible qu’est la science des communications électroniques est enfin reconnue pour s’affranchir de la tutelle technique des opérateurs commerciaux ;
  • c) si est introduite une logique de continuité de service pour chacun, pour l’instant entièrement dépendante du bon fonctionnement du réseau électrique.

Je demande à mes fidèles lecteurs de bien vouloir m’excuser. Tout ceci peut apparaître comme ayant été déjà écrit depuis un an. Mais la crise sanitaire crée un contexte politique nouveau susceptible d’ouvrir les yeux sur la nécessaire efficacité de l’action publique et sur l’importance de stratégies non pas virtuelles mais ancrées dans le concret. Il n’est jamais vain de trop insister sur de telles exigences de bon sens.